Par Aimad Ouhakki
Depuis plus de quinze ans, Ricardo Morena se prépare, aux premières heures du matin, à ouvrir sa petite boutique du Mercado de la Merced, l’un des marchés populaires les plus importants et les plus anciens de Mexico.
Sur les mélodies du célèbre chanteur mexicain Vicente Fernandez, ce quinquagénaire arrange, dépoussière et empile soigneusement sa marchandise lui conférant un air de toile multicolore.
Coiffé de son incontournable sombrero, M. Morena raconte à la MAP avec une grande fierté ses journées dans ce marché situé dans le centre historique de la capitale, où s’entremêlent couleurs, odeurs et saveurs, reflétant la richesse de la culture et de la civilisation mexicaines.
Pour M. Morena, déambuler dans les marchés populaires de Mexico est un plaisir incomparable: de petits magasins symétriques s’y alignent, exposant des artefacts inspirées des anciennes civilisations du Mexique, des vêtements, des accessoires ou des instruments de musique traditionnels, certains objets d’artisanat et meubles faits à la main, le tout ponctué de succulents desserts ou apéritifs locaux.
Malgré l’abondance des marchés et des magasins modernes, les marchés populaires de Mexico gardent un charme particulier. Outre son attractivité touristique, le Mercado de la Merced est considéré comme un moteur de l’économie de la ville et une source de revenus pour des milliers de personnes, surtout après que certains commerçants se sont convertis en vendeurs de denrées alimentaires, de biens et de marchandises importés des États-Unis et d’Amérique latine.
Selon les données du gouvernement local du Mexique, l’État compte 652 marchés populaires, dont plus de la moitié sont situés dans ses quartiers orientaux tels que Miguel Hidalgo, Jose Maria Morelos ou Central de Abasto.
Les marchés populaires “incarnent les traditions et le folklore original du Mexique avant l’arrivée de la mondialisation et des nouvelles technologies, car certains d’entre eux reflètent le pouls de la ville et ses innombrables particularités”, confie à la MAP Juan Ramón Martinez, un sexagénaire qui a passé plus de la moitié de sa vie à travailler au marché de la Merced.
Dans une élégante boutique décorée d’artisanat mexicain, M. Martinez et son frère exposent les fameux “tacos” mexicains, accompagnés de versions miniatures de ces mets, en plus du traditionnel lait de coco et boisson au soja.
Le commerçant affirme servir une centaine de clients par jour, dont la plupart des touristes étrangers qui viennent découvrir un aperçu de l’histoire et de la civilisation du Mexique dans ces marchés qui remontent pour certains à la période de la présence espagnole au Mexique.
M. Martinez explique que la plupart des marchés populaires conservent d’anciens horaires, comme l’ouverture à trois heures du matin et la fermeture à trois heures de l’après-midi ou à six heures du soir, dans la continuité de la tradition des peuples indigènes du pays.
L’organisation du marché populaire au Mexique revêt une importance particulière, selon Mme Esperanza Anibal, qui travaille dans une exposition de vêtements et d’accessoires traditionnels pour femmes, car il est toujours considéré comme une source de cohésion sociale et une continuité des coutumes et traditions héritées depuis des siècles.
Evoquant ses produits méticuleusement tissés à la main, Esperanza raconte à la MAP ses débuts dans un marché populaire de l’État méridional d’Oaxaca, où les femmes du village brodaient la “robe de mariée traditionnelle” à un point de rassemblement hebdomadaire. Par la suite, a-t-elle poursuivi, elle a reçu les premières règles de la couture et de la broderie de vêtements traditionnels, avant de s’installer à Mexico à l’invitation du ministère de la Culture pour enseigner aux nouvelles générations les secrets de ce métier ancestral.
Mme Anibal a affirmé que son travail dans ce marché depuis dix ans est pour elle “une source de fierté, mettant en valeur les efforts déployés pour faire connaître nos riches traditions mexicaines et leurs multi-affluents (..) qui nous distinguent et constituent une attraction touristique et économique”.
Selon la définition du ministère mexicain de la Culture, ces marchés sont nés à la suite d’une tentative d’organiser les marchés du Mexique avant les Espagnols. Ils s’appelaient à l’époque “tianguis”, c’est-à-dire “marché en plein air” ou “marché ouvert”. Ces derniers étaient organisés à des jours spécifiques de la semaine en fonction des régions et des services qu’ils fournissaient.
Cette définition officielle fait référence à l’implantation de ces marchés à proximité des centres-villes (autrefois, des zones rurales), généralement près d’un fleuve, de la côte ou des zones humides, où les commerçants se réunissent depuis l’ère pré-espagnole, avant de se transformer en petits marchés, des bâtiments ou kiosques réutilisés, installés et démontés au moment du marché, et actuellement situés à proximité de centres culturels ou historiques et d’espaces publics construits avec l’expansion urbaine.
Ces marchés, qui sont aussi appelés “marchés municipaux ou publics” ou “Mercado” en espagnol, maintiennent une longue tradition des peuples indigènes du Mexique, à savoir le troc, et ce malgré le déclin significatif de cette coutume.
Afin d’assurer la continuité des marchés populaires, les gouvernements locaux soutiennent leur entretien et fonctionnement. Environ 75 % d’entre eux sont situés dans des zones résidentielles à faible revenu et des quartiers à revenu intermédiaire, et ils sont loués par des commerçants ou des municipalités en retour de sommes abordables versées hebdomadairement ou mensuellement, dans le but de stimuler l’économie du quartier.
De nombreuses études anthropologiques ont révélé que le modèle des marchés populaires au Mexique en général n’a pas changé de manière significative depuis l’époque pré-hispanique, en particulier dans le sud et le centre du pays, confirmant qu’ils conservent presque la même structure économique et sociale.