Par Nizar Lafraoui.
Un parcours exceptionnel est celui qui a mené, quelques années plus tôt, Brahim Zarkani, ce Casablancais lauréat de la littérature arabe, à se frayer son bonhomme de chemin au sein de l’Institut français de Fès (IF-Fès) pour se confirmer en véritable promoteur de la dynamique culturelle.
Très connu parmi les acteurs du secteur culturel, Brahim Zarkani dont la contribution est appréciée de l’élite des arts et de la culture à Fès, est en perpétuelle réflexion qu’il soit chez lui ou dans son bureau, pour tirer les leçons d’un succès ou d’un échec ou encore pour préparer le prochain rendez-vous culturel, une préoccupation devenue, depuis un quart de siècle, plus qu’un métier… une passion.
Avec son chapeau à l’européenne et sa moustache parsemée de poils blancs discrets, Brahim accueille ses visiteurs, tout sourire et d’une voix radiophonique, qui reflète une personnalité calme et posée. Préparer une rencontre, à laquelle sont conviées des connaissances mais aussi des inconnus, et créer les conditions de sa réussite, n’est-elle pas le plus ardu des métiers?
Il est l’enfant légitime de l’action associative à travers ses activités au sein du club de l’action cinématographique à Casablanca et l’animation culturelle à l’université dont la faculté Ben M’sick est pionnière, en particulier à travers ses festivals du théâtre et de l’art de la vidéo.
Brahim Zarkani se rappelle, non sans nostalgie, lorsqu’il a eu l’occasion de présenter, alors étudiant, le grand réalisateur égyptien Salah Abou Seif et son compatriote le scénariste Sabri Moussa. Il a appris beaucoup des débats autour des films, qui se déroulaient en présence de près de 600 étudiants et face à des monstres du 7ème art marocain dont feu Mohammed Rakkab ou Mustapha Darkaoui.
Passionné du cinéma et du théâtre, Zarkani va, par la suite, réaliser un travail de recherche sur l’espace dans les romans du syrien feu Hanna Mineh pour l’obtention de la licence professionnelle en animation culturelle. De nouvelles perspectives vont s’ouvrir à lui dans l’industrie culturelle, un nouveau concept à l’époque (années 1990), d’autant plus qu’il a bénéficié de sessions de formation au Maroc et à l’étranger.
Brahim Zarkani intégrera le marché du travail fort de sa formation dans les domaines des politiques culturelles, de la commercialisation des produits culturels, de l’histoire de la littérature et des arts et de la gestion financière des projets.
Après son passage à l’Institut français de Marrakech en tant que collaborateur dans l’animation des nuits ramadanesques, il rejoindra en mai 1996 l’IF-Fès, un travail qui va devenir, pour lui, une véritable source d’oxygène et une réelle identité en ce sens qu’il constitue un trait d’union entre les différentes cultures, langues et expressions artistiques.
Brahim revient sur les moments phares de son parcours au sein de l’Institut français de Fès en particulier l’exposition de l’artiste Mounir El Fatmi sur le monde poétique d’Adonis. A Dar Batha, ce haut lieu d’histoire au cœur de l’ancienne médina de Fès, Zarkani a laissé aussi son empreinte puisqu’il a milité longuement pour qu’elle devienne un espace ouvert aux résidences d’artistes de différents horizons.
Dans le hall de cet espace, des projets pleins de créativité ont vu le jour dont celui ayant mis l’art Gnaoua au coeur d’une chorégraphie française avant qu’il ne franchisse les frontières. Le dramaturge et le théoricien de “l’espace vide”, Peter Brook est passé, également, par cette maison, où son génie a inspiré des jeunes en quête de nouvelle perspectives artistiques.
Quels sont les ingrédients d’un projets culturel et artistique réussi et enraciné dans son environnement social ? Au moment où les moyens financiers constituent, pour certains, un facteur déterminant, Brahim Zarkani insiste que le projet culturel porte, en lui même, les éléments de son succès où les indices de son échec. Des éléments ayant trait à la vision, à l’élaboration ou à l’approche adoptée pour son enracinement dans son environnement socio-culturel.
Pour lui, ce n’est pas l’argent qui fait le projet mais c’est bien le projet qui draine l’argent. Il présente comme exemple de réussite, le festival des films d’animation de Meknès de par l’originalité de son idée et la pertinence de ses choix et de sa programmation.
Il est formidable que le projet culturel s’inspire des spécificités du lieu: Fès n’est-elle pas la mieux placée pour abriter le festival de la musique spirituelle pour revisiter les sites historiques et relier le présent au passé, fort de ses douze siècles de civilisation? Sauf que Brahim Zarkani recommande d’aller plus loin étant donné que l’animateur culturel ne se doit pas d’enfermer le lieu dans une identité figée.
Fès est également une ville moderne dont les jeunes appartiennent à l’ère de la digitalisation et ouverts sur les nouvelles expressions et les arts de la postmodernité. Dar Batha pourrait être, aussi, un carrefour où cohabitent les voix du présent et du futur à l’image d’une troupe de danse contemporaine qui via la langue du corps, fait parler les anciens murs. Tel est la philosophie qui animent l’action de Brahim et ses partenaires.
Photographe, éditorialiste dans la langue de Molière et écrivains de nouvelles courtes en arabe classique, Brahim Zarkani n’a toujours pas exhaussé le voeu de son ami, le romancier Said Mountasib, de passer à la publication. Brahim qui rassemble les artistes, les créateurs et les intellectuels et leurs publics, est un personnage timide qui préfère rester dans le l’ombre. Même lorsqu’il est invité en tant que membre de jury ou animateur d’ateliers, il le fait par devoir et par conviction de la nécessité d’interagir avec son entourage de travail.
Brahim Zarkani se dit reconnaissant à ce métier qui lui a ouvert de larges perspectives et permis de nouer des relations porteuses avec des créateurs de divers horizons. La joie qu’il perçoit dans les yeux du public à la sortie des salles est, à elle seule, une reconnaissance inestimable. Elle est, pour lui, une source d’énergie qui se renouvelle à l’occasion de chaque rencontre entre créateur et public et des rendez-vous menacés de disparition à l’ère du digital et de la consommation individuelle du produit artistique et culturel.
Aux yeux des acteurs des arts et de la culture à Fès et ailleurs, Brahim Zarkani est, sans conteste, le soldat de l’ombre au service de Maroc de la Culture.